Cuillère Dan Guéré
Cuillère Dan Guéré
Réf. : a-194
Cuillère Dan Guéré de Côte d'Ivoire
Description
- Hauteur : 50 cm
Cuillère de cérémonie Dan Guéré de Côte d'Ivoire. Pièce ancienne de plus de 40 ans.
Présentes dès la Renaissance dans les cabinets de curiosité, les cuillères font partie des premiers objets importés d’Afrique en Europe, dès le XVème siècle. La cuillère, alors considérée comme un attribut royal est un objet de prestige utilisé exclusivement par l’aristocratie l’africaine. C’est donc ce prestige des chefs que l’on conserve dans la catégorie « Exotica » de son cabinet ; mais également une matière, l’ivoire, un des premiers matériaux importé d’Afrique et recherché pour sa rareté.
Aux XVème et XVIème siècles, les ivoires « Sapi » de Sierra Leone font en effet impression et les princes allemands de Habsburg et de Saxony les intègrent dans leurs « Wunderkammern », cabinets de curiosités allemands. La cuillère devient donc doublement insigne, stigmate de pouvoir : en Afrique en étant l’attribut de chefs, en occident en étant la possession de la haute aristocratie qui l’élève à un rang privilégié, entre science et art. S’ensuit un double mouvement de production africaine : une première production est liée à l’aristocratie locale, une autre commence déjà à être destinée à l’exportation. On peut même se demander si, en cherchant localement ce type d’objet en Afrique, l’occidental n’en a pas véhiculé l’image. En effet, en pays Sénoufo par exemple, on ne note pas la présence de cuillères dans les écrits des voyageurs en Côte d’Ivoire avant le XIXème siècle. On peut penser que, dans un mouvement diffusionniste complexe, c’est l’arrivée des voyageurs occidentaux qui entraine l’arrivée de nouvelles pratiques rituelles liées, notamment à l’usage des cuillères. Les européens ne mangent pas avec leurs mains. L’aristocratie africaine cherchera donc peut-être à élever son statut face au blanc en mangeant avec des cuillères. La cuillère se répand progressivement dans tout le continent comme symbole d’élévation sociale. Si l’on reste dans le registre de la nourriture, elle prend notamment la place « visible » du sel, aliment de prestige réservé à l’aristocratie locale. La cuillère va donc progressivement matérialiser une idée d’opulence, de savoir-vivre, de valorisation de son possesseur.
En Côte d’Ivoire, en pays Dan, elle fait l’objet d’une grande créativité de la part des sculpteurs. La cuillère a différents usages, et différentes appellations selon son usage.
Les cuillères Dan sont de trois types :
- « Mia na », petites cuillères de formes géométriques simples, utilisées par les personnes âgées pour se nourrir.
- « Ya bo sie mia », cuillère de la femme principale du foyer, qui s’en sert pour préparer la nourriture.
- « Wa ke mia », celle qui nous semble la plus intéressante dans la mesure où elle perd totalement sa valeur d’usage à des fins de prestige. La « Wa ke mia » est la grande cuillère cérémonielle qui appartient aux femmes les plus hospitalières de la tribu, les « Wunkirle » ou « Wakede ».
Femme mariée et très respectée, la « Wunkirle » est aussi une agricultrice remarquable capable de produire de quoi nourrir sa famille et de distribuer le surplus généreusement. Les productions matérielles des Dan, notamment au travers de leurs cuillères, montrent l'importance de la différenciation sexuelle des taches, à travers l'activité exclusivement féminine de préparation des banquets. Tout comme le cimier Tyiwara chez, entre autres, les Bambara, récompense l'agriculteur le plus productif, la cuillère Dan récompense la préparatrice de banquets la plus méritante. C'est donc un objet qui célèbre son possesseur et, lorsqu'il est magnifié par une figure humaine ou animale, est rare et précieux.
La « Wunkirle » prépare les festins, spécialement lors de rites de passage ou d’initiations. Elle est aidée par un esprit que contient la cuillère qui en est la matérialisation. Les histoires mythiques qui accompagnent cette matérialisation de la cuillère en tant que réceptacle d’un esprit sont nombreuses et justifient le respect que l’on porte à la fois à la détentrice de l’objet et à l’objet lui-même. L’une de ces histoires indique par exemple qu’un matin, une cuillère avait de façon inexplicable perdu l’extrémité de sa poignée. Il était dit qu’un soir, la cuillère avait participé à une rencontre des esprits des cuillères et avait eu une telle bagarre avec une autre cuillère qu’elle en avait perdu le haut de sa poignée.
Les Dan procèdent donc à une forme animiste élaborée qui intègre la présence d’un esprit dans du bois sculpté. C’est la raison pour laquelle on retrouve souvent des formes anthropomorphes ou zoomorphes.
La tâche de la femme se manifeste par la représentation d'un personnage, humain ou animal, comme partie prenante du récipient. Et c'est sous la forme de synecdoque que l'on retrouve souvent des traits féminins ou animaux entourant le cuilléron.
Le cuilléron peut donc faire office de tête humaine lorsqu'il est accompagné de jambes, comme dans les exemples suivants montrant une cuillère Dan de la collection Wolf et la célèbre cuillère Zoulou du Pavillon des Sessions du Louvre.
Le cœur de la cuillère peut également symboliser le ventre nourricier de la femme, en étant surmonté d'un visage fort et paré de tous les critères de beauté d'usage dans la culture d'origine. Ici, on retrouve un visage féminin Dan extrêmement travaillé, où la coiffe de cérémonie et les scarifications présentes sur plusieurs endroits du visage montrent un mélange de réalisme et d'idéalisation de la femme représentée.
Le cuilléron est parfois également surmonté d’un animal protecteur du clan, comme c’est ici le cas d’une tortue, représentée sous une forme qui tend vers l’abstraction.
On retrouve également souvent l’image du poing, qui fait office de manche de la cuillère.
La cuillère africaine anthropomorphe a été une source d’inspiration chez les avant-gardes du début du XXème siècle, voire une réadaptation complexe.
Elle a été récupérée par certains artistes à des fins d’abstraction symbolique. Dans le cas d’une appropriation par les artistes modernes de la thématique de la cuillère, l’objet perd sa dimension humaine, tangible, au profit de l’idée de la femme.
Dans la « Femme cuillère » de Giacometti, la cuillère n’est plus l’apanage des femmes, le tribut offert à la femme méritante, organisatrice de banquet. La cuillère EST femme, dans sa forme, dans sa taille. Il y a d’autant plus analogie entre forme et fonction que cette œuvre est inscrite dans son époque ; époque où la femme est la mère au foyer, corps porteur, réceptacle d’enfant et nourricière. Sa signification dans l’univers social en est presque réduite à ça.
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